Part 6: Conference Sessions
October 14: 13:15-14:15 Session: Person / Personal / Character…
13:15-14:15 : Personne/personnel/personnage : constructions fictionnelles et littéraires du moi / Person / personal / character: fictional and literary constructions of the self (II)
Présidence/Chair : Toby Erik Wikström (U. of Iceland)
Lauriane Maisonneuve (U. Grenoble-Alpes). « Tours et détours du je dans quelques tragédies du XVIIe siècle. »
Nous proposons d’explorer un paradoxe propre à l’énonciation de la subjectivité dans les tragédies du XVIIe siècle. Si les tragédies de Corneille mettent en scène un ego tout-puissant, chez Racine, le moi serait plutôt mis en sourdine, répondant à l’exigence janséniste d’éviter de verser dans le défaut d’amour-propre.(1) En effet, les manuels des grammairiens et philosophes du langage de l’époque réservent au je peu de développements descriptifs, leur préférant des prescriptions. Pourtant, nos relevés stylométriques démontrent une prégnance de la désignation de soi chez Rotrou, Corneille et Racine. Nombre de passages mettent en valeur le locuteur mais en usant d’autres stratégies rhétoriques que la répétition du pronom personnel tonique,(2) parmi lesquelles des appositions à des mots se référant au locuteur ou des désignations de soi sous forme de pluriels amplifiés (nous de majesté).
(1) À propos de la formule de Pascal, « Le moi est haïssable », les logiciens de Port-Royal pensent que : « Feu Monsieur Pascal […] portait cette règle jusqu’à prétendre qu’un honnête homme devait éviter de se nommer, et même de se servir des mots de je et de moi ; et il avait accoutumé de dire sur ce sujet que la piété chrétienne anéantit le moi humain, et que la civilité humaine le cache et le supprime » (Arnauld et Nicole 1981 [1662], III, XX, §6, 267).
(2) Nous pensons au moi sublime de Médée proféré comme seule réponse aux questions de Nérine qui s’inquiète de connaître les moyens qu’elle va employer pour se venger de son mari parjure. Elle répond : « Moi, / Moi, dis-je, et c’est assez. » (Corneille, Médée, I, 5, v. 320-321). Le pronom tonique distribué aux deux extrémités de deux vers, sature l’espace discursif de ce distique. L’expression « c’est assez » est ironiquement mimétique de la suffisance du moi et clôt ainsi le débat.
Adrien Mangili (U. de Genève). « La Mothe Le Vayer, ‘loup famelique’ : représentation de la marginalité et libre pensée. »
Dans un de ses Petits traitez, en forme de lettre intitulé « De la retraite de la Cour » (1656), La Mothe Le Vayer prend le parti et la voix du « loup famelique » de l’apologue de Phèdre (livre iii), contre le « Chien d’attache, qui regorgeait d’embonpoint ». Dans une lettre où le décentrement propre au relativisme culturel est explicitement thématisé, le passage par la fable et par l’animalité lui permet de légitimer sa liberté philosophique – en mettant en scène sa marginalité – tout en suggérant discrètement la dangerosité de sa pensée dissidente. J’aimerais montrer que l’identification à ce loup, que La Fontaine rendra célèbre quelques années plus tard (1668), participe d’une rhétorique de la marginalité qui permet au « libertin érudit » de se ménager un espace de liberté intellectuelle, en se figurant comme un animal affaibli. Cette figuration de soi ambivalente, si ramassée soit-elle, s’apparente aussi à une profession de foi en faveur de la liberté philosophique. Mais le loup reste un animal dangereux et le lecteur complice ne peut que sourire devant cette lycanthropie littéraire. La suite du propos, sous des airs légers, confirme la dangerosité de la pensée décentrée du libertin : La Mothe Le Vayer démontre en effet à son correspondant que les Japonais sont les « antipodes moraux » des Français. Le propos est bien plus corrosif qu’il n’y paraît puisqu’il tend inexorablement vers un relativisme moral, totalement incompatible avec le christianisme. Le loup est entré dans la bergerie.
Cynthia Laura Vialle-Giancotti (Stanford U). « Le portrait au XVIIe siècle : entre représentation de soi et jeu des apparences. »
Au XVIIe siècle les enjeux du portrait acquièrent des dimensions non seulement littéraires, mais aussi sociales et politiques. Le portrait mondain, dont la mode se diffuse dans la seconde moitié du siècle, se configure comme la forme par excellence des représentations de soi dans l’espace littéraire et social, particulièrement parmi les élites. L’apogée de la mode en 1659 voit la publication de trois ouvrages dédiés au portrait : les Divers portraits ; le Recueil des portraits et éloges et la Description de l’isle de portraiture. Si ses contemporains et critiques la considèrent déjà dépassée en 1661 (Somaize, Dictionnaire des précieuses), cette mode finit cependant par changer l’histoire littéraire. Mon étude sur le portrait se place dans le sillon tracé par les travaux sur le portrait (Plantié 1994, Morlet-Chantalat 1994, Spica 2002, Harvey 2013, Schuwey 2020) et démontre non seulement qu’avant la mode du portrait mondain les descriptions des personnages fictionnels n’étaient pas appelées ‘portraits’, mais aussi que la fonction du portrait dans l’espace littéraire change radicalement dans la période 1660-1700. Cette métamorphose a lieu grâce aux ouvrages de fiction qui empruntent ce genre mondain et le façonnent pour l’adapter aux nécessités narratives du temps. Se délivrant du carcan descriptif baroque, le portrait, vers la fin du siècle, en vient à jouer une fonction proleptique au sein de la narration. Mon étude de cas portera sur les stratégies représentatives mises en place par Fénelon dans le Télémaque (1699), où, afin d’enseigner à son disciple, le Duc de Bourgogne, à distinguer les courtisans fiables des courtisans déloyaux, il transforme le portrait en un outil didactique et épistémologique.