Part 6: Conference Sessions
October 23: 10:30-11:45 Session: Mutation of Literary genres…
10:30-11:45 Mutation des genres littéraires : la trans- et l’intermédialité baroque et classique / Mutation of literary genres: baroque and classical trans- and intermediality
Présidence/Chair : Camille Guyon-Lecoq (U. de Picardie)
Denis AUGIER (U. of New Orleans). « La Transmission ésotérique au XVIIe siècle : de la relation maître/disciple au livre. L’exemple de l’alchimie. »
Comme en témoignent des auteurs tels que Tristan L’Hermite, Cyrano de Bergerac ou Béroalde de Verville, la curiosité du public pour l’alchimie atteint un point culminant au XVIIe siècle. Pourtant cette discipline poursuit une évolution radicale dans son mode de transmission commencée au XVIe siècle. La tradition de l’enseignement oral, la transmission d’adepte à disciple est devenue au mieux marginale, laissant la place au livre, au traité comme source d’enseignement privilégiée. En même temps, une forme littéraire fleurit à cette époque dans les traités hermétiques : celle du dialogue, à travers lequel l’auteur, par le biais d’une conversation (généralement entre un adepte et un apprenti-alchimiste), expose les principes et méthodes du Grand Œuvre. Faut-il voir dans l’engouement pour cette forme une sorte de compensation qui permet de remédier à la perte de la relation directe maître/disciple ? Je propose d’examiner plusieurs dialogues alchimiques majeurs du XVIIe siècle et notamment le célèbre Entretien d’Eudoxe et Pyrophile de Limojon de Saint-Disdier. En contrepartie, j’évoquerai la relation bien réelle de deux alchimistes de cette époque – Alexandre Séthon et Michel Sendivogius. Mais s’il s’agit bien de deux personnages dont l’existence est attestée, leur relation n’est-elle pas une fable, une de ces stratégies qu’affectionnent les alchimistes pour dérouter les ignorants ?
François REMOND (U. Paris). « L’univers de la Facétie : Mise en place d’un univers transmédiatique à l’époque baroque. »
La première moitié du XVIIe siècle français est une période qui voit naître l’essor des farceurs au sein des institutions théâtrales émergentes. Intervenant au sein de chaque représentation théâtrale, ces comédiens bâtissent leurs saynètes autour d’un personnage burlesque de leur création, qui les suivra tout au long de leur carrière. De par son aspect récurrent, un certain statut de « culte » peut se former autour de tel ou tel personnage, dont l’identité tend à se confondre avec son interprète. Dans ce cadre va se mettre en place un ensemble de productions dérivées autour de cette figure, véritable dispositif transmédia qui permet au spectateur·trice de prolonger l’expérience fictionnelle. Cette communication se propose donc d’attirer l’attention sur la diversité des productions rattachées au personnage farcesque dans le champ médiatique. Ces romans, chansons, estampes, pièces de théâtre, pamphlets politiques… s’agglomèrent autour de la figure du farceur, qui devient le point central d’un « univers partagé » au sein de l’imagination populaire. La création scénique du comédien, dont la prestation principalement basée sur l’improvisation est par essence intangible, devient donc le point de départ d’une écriture plurielle qui contribue à fixer, à chaque fois par un canal différent, la mémoire du personnage, et à prolonger son existence au-delà même parfois de l’existence physique du comédien qui l’incarnait. Nous aborderons les enjeux commerciaux de ce phénomène, et la signification de ces succès publics, témoignant de l’existence d’une communauté fervente désireuse de poursuivre les aventures d’un personnage créé par et pour la scène au-delà du cadre théâtral.
Sylvaine GUYOT (NYU). « Les feux d’artifice urbains, ou les possibilités politiques d’un spectacle intermédial. »
Le feu d’artifice d’Ancien Régime est un dispositif sériel, reposant sur un assemblage de différents mediums – dessins publicitaires, architecture éphémère, devises en latin, peintures allégoriques, brochure explicative, spectacle pyrotechnique, et enfin, gravures et relations commémoratives – qui interagissent selon des modalités et des temporalités variables. Le scripturaire et le visuel s’y combinent, que ce soit au moment de l’événement, où divers écrits (inscriptions et livret) jouxtent le spectaculaire, ou au niveau de l’archive, qui couple description et iconographie. Le feu d’artifice ne correspond donc pas au modèle souvent reconduit d’un vecteur chronologique entre le spectacle (pris comme référent), l’écrit (support du discours descriptif) et l’iconographie (conçue comme document/monument mémoriel du premier et appendice illustratif du second). En circonscrivant mon observation à un demi-siècle de feux d’artifice urbains (1655-1701), je propose de considérer le feu d’artifice comme « agencement intermédial ». Penser en termes d’intermédialité implique de se départir de l’idée que tel medium serait la représentation de tel autre, pour observer comment les différents mediums fonctionnent en interaction, ne prenant pas en charge les mêmes effets au même moment, sans pour autant se les partager de manière systématique, chacune relevant de modes d’action et de de réception fluctuant selon la configuration de leur association. Penser en termes d’intermédialité permettra également de saisir comment se formule, dans les interstices de ce dispositif, un message politique équivoque. Loin de constituer un médium univoque, cet agencement fait parfois œuvre de dissonance, en particulier dans ses usages provinciaux, troublant l’idéal absolutiste d’un territoire centralisé dont le feu d’artifice est censé manifester l’unité.
Léa di SANTO-NAVARRO (U. de Picardie). « À la croisée du récit et du jeu : renouvellements narratifs dans les Aventures burlesques de Charles Dassoucy et Composition n°1 de Marc Saporta. »
Charles Coypeau Dassoucy est un auteur qui a longtemps été relégué au second plan par la critique. Si l’on peut dénombrer plusieurs tentatives contemporaines pour le réhabiliter, son œuvre reste aujourd’hui peu éditée et méconnue. La production de ce musicien, compositeur et auteur est d’une grande variété, tant par la diversité des médias que celle des genres auxquels il s’est essayé. Nous nous intéresserons plus particulièrement à ses Aventures burlesques (1677), œuvre dans laquelle les frontières génériques se trouvent bousculées. À ceci s’ajoute une exploration remarquable de celles de la littérature et du jeu. En effet, si les Aventures prennent bien la forme d’un récit, le ludique s’y déploie à plusieurs niveaux. Le jeu informe la narration, que ce soit en tant que motif thématique lié à l’errance, au picaresque et au libertinage, ou comme ressort de l’aventure. Plus encore, le jeu de hasard devient le modèle de la structure narrative. Cette hybridation entre littérature et jeu trouve un écho plusieurs siècles plus tard, en 1962, lorsque Marc Saporta publie Composition n°1, un roman dont les pages sont vouées à être déchirées et rebattues à la manière d’un jeu de tarot. Il s’agira, à travers ces deux œuvres, d’analyser la manière dont l’intégration du jeu dans la littérature interroge la place de l’aléatoire dans le récit, en même temps qu’elle est une expérimentation et un renouvellement génériques – du point de vue de la construction jusqu’au support même de l’œuvre.